Le bail à usage professionnel dans les centres commerciaux en droit OHADA

Éfoe DOSSEH-ANYRON
Par Éfoe DOSSEH-ANYRON
108 min de lecture

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L’urbanisation croissante des pays membres de l’espace OHADA constitue un vecteur de développement des centres commerciaux[2]. Elle incite à offrir au consommateur des espaces au sein desquels il pourrait effectuer des achats variés avec un gain de temps[3] et certaines commodités[4]. Le contexte de développement économique dans lequel évolue cette urbanisation engendre la multiplication des projets de construction des centres commerciaux dans l’espace OHADA. L’exercice d’une activité professionnelle au sein d’un centre commercial donne lieu généralement à la conclusion d’un contrat de bail entre le promoteur du centre et un professionnel[5]. Toutefois, le silence du législateur OHADA relativement à l’hypothèse du bail à usage professionnel dans un centre commercial ne manque pas de surprendre l’analyste et justifie, du reste, une étude sur le bail à usage professionnel dans le centre commercial en droit OHADA.

Aux termes des dispositions de l’article 103 de l’AUDCG : « Est réputé bail à usage professionnel toute convention, écrite ou non, entre une personne investie par la loi ou une convention du droit de donner en location tout ou partie d’un immeuble compris dans le champ d’application du présent Titre ; et une autre personne physique ou morale, permettant à celle-ci, le preneur, d’exercer dans les lieux avec l’accord de celle-là, le bailleur, une activité commerciale, industrielle, artisanale ou toute autre activité professionnelle ». En raison de la concentration des baux à usage professionnel conclus en son sein, le centre commercial offre le lieu idéal d’application de la réglementation du bail à usage professionnel[6]. L’évolution du champ d’application du droit au bail[7] dans l’espace OHADA permet à ce contrat d’être appliqué à une grande variété de professionnels susceptibles d’exercer une activité dans les centres commerciaux. Il n’existe pas de définition consacrée du centre commercial[8] en droit OHADA. Le recours au droit comparé permet d’avoir des éléments de définition. Celle proposée par le Conseil national des centres commerciaux français sert souvent de référence. Le centre commercial est ainsi défini comme : « un ensemble d’au moins 20 magasins et services totalisant une surface commerciale utile (surfaces de vente + bureaux + réserves) minimale de 5 000 mètres carrés, conçue, réalisée et gérée comme une entité »[9]. Il ressort de cette définition trois éléments essentiels et cumulatifs qui distinguent le centre commercial de notions connexes[10] : la recherche d’un impact commercial, la mise en commun de moyens et une discipline. Tout d’abord, le souhait partagé d’attirer une clientèle importante en raison du regroupement de plusieurs activités dans une même aire géographique[11] ; le désir d’avoir « un impact commercial maximum »[12]. Ensuite, la mise en commun des moyens pour l’atteinte de cet objectif. Enfin, l’instauration d’une « discipline » nécessaire non seulement pour cette finalité mais aussi pour l’organisation des rapports entre professionnels exerçant dans le centre.

Le bail, comme tout contrat, était soumis au principe du consensualisme et l’ordre public y était réduit à une portion congrue. Historiquement donc, le bail a été le siège d’une grande liberté des parties. Ce n’est que progressivement et au fil des abus que s’est développé un statut du bail dans le domaine commercial et plus largement dans la vie professionnelle. En droit français, le statut du bail commercial résulte du souhait de protéger le fonds du commerçant[13]. Le décret de 1953[14] est à l’origine d’un véritable statut du droit commun des baux commerciaux[15]. Ce souci de protection de l’activité du preneur a poussé le législateur à rendre la plupart des règles d’ordre public et à ériger une « propriété commerciale »[16]. Ce statut sera appliqué au bail dans les centres commerciaux sans tenir compte de la spécificité de cette situation. Un auteur observe : « Lorsque les premiers centres commerciaux firent leur apparition en France à la fin des années 1950, il parut donc naturel de recourir au statut prévu par le décret de 1953 »[17] concernant le statut général des baux commerciaux. Cette même conception explique l’application du statut du bail à usage professionnel aux relations entre les bailleurs et les preneurs à bail de locaux en centre commercial dans l’espace OHADA. L’appellation « statut du bail » traduit que ce dernier comporte « des dispositions d’ordre public qui s’appliquent automatiquement et auxquelles il n’est pas permis de déroger »[18].

L’éclosion des centres commerciaux dans les pays membres de l’espace OHADA est somme toute récente à la faveur de l’urbanisation croissante. Toutefois, l’absence de régime spécifique défavorise l’attractivité économique de ces centres. Le bail à usage professionnel de l’OHADA ne prend pas en compte les particularités du centre commercial[19] alors que celui-ci constitue « un monde à part »[20] dans la mosaïque des baux classiques. Le bail dans le centre commercial, constitue le mal-aimé du statut des baux à usage professionnel tant en France[21] que dans les pays de l’espace OHADA en dépit de son éclosion. La doctrine africaine s’est beaucoup attachée au bail à usage professionnel et très peu à la spécificité que constitue l’application de ce bail dans les centres commerciaux[22]. L’objectif d’attractivité économique du droit OHADA[23] impose la mise en œuvre d’un cadre spécifique car l’application du statut du bail dans le centre commercial constitue un foyer contentieux[24]. Le mutisme législatif constitue sans doute la cause du silence doctrinal. Cependant, l’analyse de l’application du statut général des baux à usage professionnel aux centres commerciaux soulève des difficultés qui ne sont pas de nature à assurer la sécurité des parties.

La difficulté majeure tient au fait que ce silence peut donner lieu à des abus de la part du bailleur tant dans la relation individuelle qu’il entretient avec chaque preneur que dans les relations collectives avec l’ensemble des preneurs à bail dans le centre. S’agissant de la relation individuelle, qui est encadrée par un contrat de bail, l’abus peut se faire jour tant au moment de la négociation que de l’exécution des clauses du contrat[25]. En effet, les clauses récurrentes des baux dans les centres commerciaux ressemblent davantage à des clauses d’un contrat d’adhésion[26] qu’à celles d’un contrat négocié[27]. Le bailleur se situe dans une position dominante lui permettant de dicter le contenu des clauses du contrat, notamment celles du renouvellement, de destination, de déspécialisation, de sous-location, de cession[28], d’assurance, d’exclusivité, de non-concurrence. Ces clauses subordonnent les conditions d’exercice et de développement de l’entreprise du preneur à un fort contrôle du bailleur.

Le bailleur dispose en outre des prérogatives que lui confère la nécessité d’organiser les relations collectives entre différents preneurs en vue d’assurer une unité d’exploitation du centre commercial. L’organisation des relations collectives octroie un pouvoir « disciplinaire » ou une « autorité » au bailleur car les preneurs sont interdépendants pour maintenir l’attractivité du centre et la gestion des espaces collectifs. Cette autorité, du latin auctoritas[29], du bailleur, qui devrait lui servir selon son étymologie à accroître les activités des preneurs du centre (et donc l’intérêt collectif), peut être dévoyée par le bailleur en un abus de droit[30]. La position dominante du bailleur démontre que le bail dans le centre commercial constitue le cadre où s’éprouve véritablement la « fragilité » du preneur[31]. Le statut protecteur du bail s’étiole lorsqu’il est appliqué dans le centre commercial en raison de la puissance économique du bailleur[32] et des attributs de ses prérogatives d’organisation de l’unité économique du centre. Il subsiste la crainte de l’exploitation du déséquilibre par la partie économiquement forte qui dégraderait la relation contractuelle si elle « abuse de sa supériorité »[33].

L’objectif principal et contemporain du statut des baux, notamment en matière commerciale, constitue la protection de la « propriété » du preneur[34]. La propriété commerciale a été définie par la Cour de cassation française, dans un récent arrêt, comme le droit au renouvellement du bail[35]. Dans le bail à usage professionnel, « la propriété » du preneur est constituée de toutes les règles facilitant le maintien de ce dernier dans les lieux et la poursuite de son activité. Le maintien du preneur est rendu difficile par une trop forte liberté contractuelle, laquelle est détournée par le bailleur au détriment du renouvellement. Lorsque ce dernier est possible, le preneur se retrouve dans une situation où il lui est difficile de négocier le nouveau loyer. La position dominante du bailleur du centre commercial en droit OHADA interroge l’existence « d’une propriété du fonds » pour le preneur. En d’autres termes, quelle serait l’intensité de la protection de « la propriété du fonds » du preneur d’un bail à usage professionnel dans un centre commercial dans l’espace OHADA ? La « propriété du fonds » du preneur à bail à usage professionnel est- elle suffisamment protégée dans un centre commercial en droit OHADA ?

Certains auteurs, notamment en droit français, considèrent que la protection du preneur par un statut a atteint son paroxysme voire que le contexte est désormais très défavorable au bailleur[36] dans la mesure où les raisons[37] d’instauration du statut se sont étiolées. Les bailleurs revendiquent un accroissement de la liberté contractuelle et corrélativement l’amenuisement des règles d’ordre public. Dans cet ordre d’idées, le Conseil constitutionnel français a été saisi à propos de la conformité du statut des baux à la constitution. Il était attendu du Conseil de juger si ce statut ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur[38]. La tension classique entre les règles corsetant la contractualisation et la liberté contractuelle [39]demeure d’actualité. Dans ce contexte, l’opinion prônant le renforcement de l’ordre public de protection peut paraître antithétique par rapport au courant dominant. Elle se justifie, à tout le moins, pour le preneur à bail dans un centre commercial, car les causes originelles du statut du bail demeurent dans l’espace OHADA. En effet, les pays de cet espace sont confrontés à une vive spéculation foncière[40] et une pénurie de locaux professionnels. Par ailleurs, le déséquilibre entre les parties altère « la propriété » du fonds pour le preneur en raison de la faiblesse des règles assurant le maintien de son exploitation.

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