La protection pénale de la possession foncière non bâtie

MFEGUE SHE Odile Emmanuelle
Par MFEGUE SHE Odile Emmanuelle
78 min de lecture

Résumé

Le droit pénal protège la possession foncière non bâtie. Cette protection est effective dans le Code pénal à travers la répression des actes de perturbation. Les dispositions pénales intégrées dans les textes juridiques relatifs au droit foncier complètent ladite protection par l’interdiction des actes d’occupation. Toutefois, l’on se rend compte que cette protection est lacunaire. La faiblesse des sanctions ne permet pas de lutter efficacement contre les atteintes à la possession foncière non bâtie. Aussi, le dessaisissement du juge pénal au profit des commissions consultatives pour régler les litiges fonciers concernant la possession, est une voie ouverte à toutes sortes d’abus. Pour remédier à ces lacunes, il y a lieu de revoir la législation foncière, en vue d’accorder à la possession foncière non bâtie, les mêmes prérogatives dévolues à la propriété foncière.

Mots clés : foncier- incrimination- pénal- possession- propriété- protection

Abstract

Criminal law protects unbuilt land ownership. This protection is effective in the Penal Code through the repression of acts of disturbance. The penal provisions included in the legal texts relating to land law complete this protection by prohibiting acts of occupation. However, we realize that this protection is incomplete. The weakness of the sanctions does not make it possible to fight effectively against attacks on unbuilt land possession Also, the relinquishment of the criminal judge in favor of the consultative commissions to settle land disputes concerning possession, is an open way to all kinds of abuses To remedy these shortcomings, it is necessary to review the land legislation, with a view to granting undeveloped land possession the same prerogatives devolved to land ownership.

Keywords: land-incrimination-penal-possession-property protection

INTRODUCTION

Le législateur civil est silencieux sur la définition de biens même s’il lui consacre tout un livre intitulé « Des biens et des différentes modifications de la propriété ». Malgré cette absence de définition légale, la notion de bien a été abondamment abordée par la doctrine. Tandis que pour une partie de celle-ci, il est impossible de donner une définition exacte au terme « bien »[1]. Une autre partie estime que, les biens sont : « Toutes les choses qui, pouvant procurer à l’homme une certaine utilité, sont susceptibles d’appropriation privée »[2]. En d’autres termes, le bien est une chose appropriable qui possède une valeur patrimoniale[3]. Ainsi, le bien s’apparente donc à une richesse[4].

L’article 516 du Code civil distingue les biens meubles des biens immeubles. Le meuble est un bien qui peut être déplacé[5] ou encore qui peut se déplacer seul à l’exemple des animaux[6]. Il existe les meubles par nature, les meubles par anticipation et les meubles par détermination de la loi. Notre étude ne concerne pas cette catégorie de biens.

Contrairement au meuble, l’immeuble est tout bien qui est fixe[7]. En d’autres termes, un immeuble c’est un bien qu’on ne peut pas déplacer ou encore qui ne peut pas se déplacer tout seul. Il existe ainsi les immeubles par leur nature, par leur destination et par l’objet auquel ils s’appliquent. Les immeubles par destination sont en fait des biens qu’on peut déplacer, mais qui sont des immeubles en raison de leur destination qui est d’être affectés à un immeuble par nature dont ils constituent l’accessoire. Les immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent sont des droits portants sur des immeubles. Il s’agit exclusivement des biens incorporels tels que le droit d’usufruit ou encore les actions en justice… Il faut noter à ce niveau que le critère de fixité est insuffisant lorsqu’on veut qualifier ce type d’immeuble. En application de ce critère de fixité, on a les immeubles par nature. Il s’agit ici du sol et de tout ce qui est fixé au sol. Sont donc inclus dans les immeubles par nature les bâtiments et les fonds de terre composants essentiels du foncier[8]. Les bâtiments sont donc exclus de cette étude qui sera focalisée sur les fonds de terre c’est-à-dire sur les espaces fonciers non bâtis. Si le foncier est en rapport avec le fonds de terre, il faut dire que le foncier va au-delà d’une chose matérielle et constitue un système de droits sur les espaces ou fonds de terre[9]. Les droits fonciers peuvent être définis comme : « Les prérogatives reconnues par le droit objectif aux personnes sur la terre et ses ressources »[10]. Ces prérogatives sont au nombre de trois à savoir la propriété, la détention et la possession objet de la présente étude.

D’après le lexique des termes juridiques, la possession est la : « détention ou jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons pour nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom ». Il s’agit en fait de la reprise de l’article 2228 du Code civil. Ainsi, la possession est appréhendée tantôt comme la détention d’une chose matérielle (fonds de terre), tantôt comme l’exercice d’un droit (usufruit) sur un fonds de terre[11]. L’énoncé de l’article 2228 C. civ. semble créer un flou en définissant la possession comme la « détention ». S’il est vrai que les deux notions sont des propriétés de fait, il n’en demeure pas moins vrai que la possession et la détention ont au moins deux éléments de distinction. La détention est basée sur la « causa detentionis »[12] alors que la possession n’est basée sur aucun titre. En outre, la détention met le détenteur dans une situation de précarité puisque ce dernier exerce ses prérogatives au profit du propriétaire. Ce qui n’est pas le cas de la possession dont la vocation est l’acquisition de la propriété après la prescription. Ainsi, la possession foncière a vocation à l’acquisition du fond de terre après la prescription acquisitive. La possession n’est donc pas la propriété que le législateur définit comme : « Le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements »[13]. Ainsi définie, la propriété confère à son titulaire la maîtrise totale de l’immeuble c’est-à-dire des pouvoirs illimités sur l’immeuble. Par conséquent, le propriétaire peut dont user, jouir et disposer du fonds de terre alors que le possesseur n’a que les droits d’usage et de jouissance[14]. De ce qui précède, on peut ainsi définir la possession foncière comme le droit d’user et de jouir d’un fonds de terre. La possession foncière ne donne pas au possesseur un droit absolu, perpétuel et exclusif comme c’est le cas avec la propriété puisqu’il est sans titre.

Penser qu’il est curieux de traiter de la protection d’un fonds de terre sans titre, c’est ignorer les dispositions du Préambule de la Constitution camerounaise qui assurent la protection des droits des populations autochtones notamment le droit du sol. C’est surtout ignorer les dispositions de l’Ordonnance no74/01du 6 juillet 1974 fixant le Régime foncier au Cameroun dont l’article 17 (2) dispose clairement que : « Les collectivités coutumières, les membres ou toute autre personne de nationalité camerounaise qui à la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance occupent ou exploitent paisiblement les dépendances de la première catégorie prévue à l’article 15, continueront à les occuper ou à les exploiter. Ils pourront sur leur demande y obtenir des titres de propriété conformément aux dispositions du décret prévues à l’article 7 ». Comme on peut le constater, la question de la protection est envisageable ici indépendamment de cette de la titularité. Même s’il faut s’interroger sur la nécessité de la protection d’une situation de fait.

Quoi qu’il en soit, le droit positif camerounais reconnait au possesseur les prérogatives d’exploitation et d’occupation paisible des fonds de terre ; ce qui veut dire que, tout trouble à cette paisibilité donne lieu soit à des actions au civil[15], soit alors à des actions au pénal. La protection pénale dont il est question dans la présente étude intéresse l’ensemble des mécanismes mis en place par le législateur pénal pour garantir la sécurisation de la possession foncière non bâtie et préserver par la même occasion, la paix sociale et les droits du possesseur tant il est vrai que : « Le droit trop longtemps démenti par le fait doit s’incliner afin que la paix sociale même établie à l’encontre du droit soit préservée »[16]. Cette position de la doctrine conforte donc l’idée de la protection des situations de fait et particulièrement de la possession foncière. La protection pénale consiste ici à la mise en place par le législateur des incriminations et des sanctions liées au trouble de jouissance et d’usage. Ceci nous amène à nous interroger sur cette protection en droit camerounais. La question qu’on peut se poser est celle de savoir comment le droit pénal assure la protection de la possession foncière ? En d’autres termes, de se demander si les textes en vigueur permettent une protection efficace de la possession foncière non bâtie ? Cette problématique est intéressante à plus d’un titre. Sur le plan socio-économique, l’étude sur la protection de la possession permet au possesseur de tirer paisiblement de la terre des richesses et des ressources nécessaires pour son épanouissement physique, économique et financier.

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